L’histoire d’un plat – La tarte Tatin

L’auberge de Lamotte-Beuvron

Il était une fois, en Sologne, plus précisément à Lamotte-Beuvron, une famille d’aubergistes. M et Mme Tatin ont deux filles, Stéphanie, l’aînée née en 1838 (appelée Fanny) et Caroline, la cadette née 9 ans plus tard. Précisons, à la lecture de ces prénoms, que la Sologne est très loin du rocher de Monaco. Jean et Aimée Tatin tiennent l’Hôtel du Pin d’or, sur la route reliant Paris à Toulouse. Une route alors très fréquentée par les chasseurs (et fins gourmets), aristocrates et autres bourgeois aimant à passer quelques temps en province. D’autant plus que la région est giboyeuse. En bref, l’arrivée de la gare et la proximité de la capitale font de la Sologne la destination à la mode de toute la fin du 19ème siècle.

Fanny (rien à voir non plus avec Pagnol) quitte l’auberge familiale pour exercer ses talents dans le 9ème arrondissement de Paris. Mais quelques années plus tard, à l’âge de 38 ans, elle décide de rentrer au bercail, son mariage ne s’étant finalement pas aussi bien passé qu’elle l’espérait. Qu’importe, Fanny passe derrière les fourneaux. Et en 1878, les deux sœurs reprennent l’auberge de leurs parents avant d’en faire construire une autre juste en face de la gare en 1890. A cette époque, leur réputation est déjà faite et l’hôtel comme le restaurant ne désemplissent pas jusqu’à ce qu’elles décident de vendre l’établissement, en 1906,  pour profiter de leur retraite. A cette date, la tarte Tatin est encore très confidentielle…

Petites histoires et grand dessert

Selon la légende (ou les légendes), la naissance de la tarte serait née d’une maladresse, d’un oubli ou d’une erreur. Plusieurs versions circulent. La tarte aux fruits renversée (essentiellement pommes et poires) serait une spécialité de l’Orléanais simplement popularisée par les sœurs Tatin. Mais aucune preuve ne vient confirmer cette idée. D’aucuns pensent aussi que Fanny Tatin aurait été inspirée par les fameuse tartes renversées d’un chef nommé Urbain Dubois. Cette version est très peu probable si l’on tient compte de la date de publication de l’ouvrage du chef (1894) et du peu de chances pour que ce livre ait rejoint la Sologne. S’en viennent alors toutes les fables racontant que Fanny aurait, par mégarde, renversé sa tarte avant de la passer au four, qu’elle aurait oublié la pâte et l’aurait ajouté par-dessus après s’en être rendue compte, que la tarte serait tombée à l’envers avant d’être enfournée… Autant de fables que l’on trouve partout sur la toile.

Il semble que la vérité au sujet de la création de la tarte Tatin soit toute autre. Après la mort des deux sœurs, la recette de la tarte Tatin est enfin rédigée, par Paul Besnard, poète de son état. En 1921, on trouve donc la toute première recette écrite de la fameuse tarte dans une revue « Blois et le Loir-et-Cher ». Le texte reprend quasiment mot pour mot la recette manuscrite du cahier de cuisine de Marie Souchon, institutrice à Lamotte-Beuvron et amie de Fanny Tatin. A la toute fin du manuscrit original, une précision est apportée ; la recette viendrait de la cuisinière d’un aristocrate ayant fait l’acquisition en 1872 d’un château à 3 kilomètres à peine de l’auberge des sœurs Tatin ; le Comte de Châteauvillard. Dans les faits, la tarte Tatin serait donc l’invention d’une cuisinière anonyme. Malheureusement, on ne sait rien de cette femme. Tenait-elle la recette d’une autre personne ? L’a-t-elle elle-même inventée ? Le mystère reste entier.

Savoir manger la tarte Tatin

Pour clore cette fable, il reste encore quelques personnages à présenter. Le critique culinaire Curnonsky en premier lieu, qui a grandement contribué à faire connaître la célèbre tarte préparée quotidiennement par Fanny Tatin. Certains lui prêtent même le storytelling autour de l’invention de la tarte par mégarde. On peut également évoquer le restaurant chez Maxim’s, qui met au menu la tarte dans les années 50, selon la recette de Curnonsky publiée 25 plus tôt. On dit que Louis Vaudable le propriétaire, aurait été jusqu’à espionner les sœurs Tatin pour obtenir la recette originale. Mais 50 ans séparent les deux établissements. La chose semble difficile à croire.

Au plus fort de la médiatisation de la tarte Tatin, tout le monde essaie de se l’approprier. On invente et réinvente la tarte. Fruits et légumes façon Tatin. Tout y passe. Ce qui exaspère les puristes non dénués d’un sens de l’humour aussi aiguisé que leur coup de fourchette ; la confrérie des Lichonneux de la tarte Tatin. Selon eux, une tarte Tatin se déguste seule, sans aucun besoin de crème ou de glace vanille et elle se fait avec des pommes à la chair ferme. Point. Dont acte.